Pour en savoir plus sur l'histoire et les spécialités de la Distillerie Cazottes, nous partageons ici quelques extraits du reportage réalisé en 2021 pour la revue 180° par Philippe Toinard et Vincent Baldensperger.
Il y a les enfants qui rêvent de devenir footballeur, spationaute, pilote de formule 1 ou d’avion de chasse et il y a Laurent Cazottes qui, très vite, a su qu’il deviendrait bouilleur ambulant puis distillateur et liquoriste dans son fief tarnais où il vit et travaille en communion avec son terroir.
AU BORD DE LA RIVIÈRE La Vère, une silhouette frêle se faufile entre deux poiriers et vient à la rencontre de Laurent Cazottes pour savoir qui, d’entre eux deux, va aller chercher le pain au village. Jean Cazottes, 87 ans, n’est pas homme à rester chez lui à faire des mots mêlés ou à regarder Des chiffres et des lettres à la télévision. Alors que le soleil tape déjà fort sur cette parcelle d’un hectare et demi, Jean plante des courgettes entre deux rangs d’arbres fruitiers et désherbe à la main les pieds des guigniers.
C’est à lui que l’on doit le début de l’aventure de la famille Cazottes dans l’univers des liqueurs et des eaux‑de‑vie.
Avant Jean, une bonne dizaine de générations de paysans se sont succédé à Villeneuve‑sur‑Vère, petit village d’à peine 500 habitants, capitale de la truffe, coincé entre Carmaux, Albi, Cordes‑sur‑Ciel et Gaillac.
Chez les Cazottes, fut un temps où on cultivait du blé, de l’orge et on élevait quelques vaches. Jean, à la tête d’une exploitation de 5 hectares environ, complétait ses revenus en tant qu’ouvrier agricole, notamment l’été, saison pendant laquelle il conduisait les moissonneuses‑ batteuses. De retour de la guerre d’Algérie, il proposait en hiver ses services de bouilleur ambulant dans la campagne tarnaise. L’histoire raconte qu’il a eu jusqu’à 900 clients avec son alambic des années 1960, que Laurent continue d’utiliser aujourd’hui.
À l’opposé de Jean et de son physique de demi de mêlée, Laurent en impose. Il aurait pu jouer au poste de 3e ligne centre dans ce bastion rugbystique qu’est le Tarn. Né en 1975 sur les terres de Jean Jaurès, à Carmaux, il décide en 1998, à seulement 23 ans, après quatre années d’études en viti‑œno et en commerce à Mâcon et à Saint‑Émilion, de prendre la suite de son père et de devenir à son tour bouilleur ambulant, avant d’obtenir un an plus tard, l’agrément de distillateur artisanal ce qui lui permet de produire pour et chez les autres, mais aussi de lancer sa propre gamme.
Au culot
Il est loin le temps où l’exploitation de Jean s’étendait sur seulement 5 hectares. Au fil des ans, Laurent a accumulé les parcelles pour être aujourd’hui à la tête d’un domaine agricole de 17 hectares – sur un terroir argilo‑calcaire sur le plateau cordais – répartis en vignes (4 hectares), vergers (3 hectares), bois (1 hectare) et, en assolement, petit épeautre (5 hectares) et tournesol (4 hectares).
Le tout converti en bio en 2000, certifié en 2003 par Nature et Progrès. Très vite, Laurent comprend qu’il lui faut se distinguer des autres distillateurs en proposant des liqueurs et des eaux‑de‑vie 100 % maison, c’est‑à‑dire que l’eau‑de‑vie de vin soit issue des vignes du domaine, que les fruits aient poussé sur ses parcelles et que le tout soit distillé sur l’exploitation. Ce qui est rarement le cas dans ce secteur dominé par les industriels. Mais surtout, Laurent se demande s’il ne peut pas produire des eaux‑de‑vie et des liqueurs plus aromatiques. Lui vient l’idée pour son eau‑de‑vie de poires williams d’équeuter, d’épépiner et de retirer le calice de tous les fruits… à la main : « Ce que je voulais, c’est obtenir une eau‑de‑vie sur le fruit. Or la queue apporte un goût herbacé, les pépins, de l’huile et, le calice, du végétal. En débarrassant chaque poire de ces trois éléments, je ne conservais que le goût du fruit en calquant ce principe sur ce que les vignerons font en éraflant les raisins. » Mais dans le monde du vin, il y a des érafloirs. Mission impossible avec des poires.
Et c’est manuellement, depuis vingt ans, que les employés et les saisonniers du domaine se coltinent environ 300 000 poires soit l’équivalent de 25 tonnes. Au culot, quelques bouteilles sous le coude, totalement inconnu dans le milieu, Laurent « monte » à Paris en 2000 pour présenter et faire goûter sa poire. Le premier à le recevoir est David Ridgway, le sommelier de La Tour d’argent puis Patrick Tamisier au Grand Véfour. Les deux premières commandes tombent après dégustation. Il se dit alors que si ces immenses professionnels adhèrent à sa démarche, il faut continuer à se démarquer avec les autres fruits. Il poursuit sa réflexion avec la reine-claude dorée plantée en 2000 – l’une des plus anciennes variétés de prunes implantée dans le Sud-Ouest – et décide de retirer les noyaux et les queues des 470 000 prunes, toujours manuellement. Pour lui, cette eau‑de‑vie a généralement un goût d’amande trop prononcé dû au noyau. Certains sommeliers légèrement perturbés par le résultat s’aventurent à lui glisser que ce ne serait quand même pas si mal s’il conservait quelques noyaux. Laurent reste impassible. Son eau-de-vie de reine-claude dorée se fera sans noyaux et sans queues et les sommeliers passeront finalement commande. Rebelote avec les fleurs de sureau noir qu’il fait émonder – seuls les pétales sont conservés – pour produire un apéritif de macération et pour les 200 à 300 kilos de guignes et de guins. Noyaux et queues partent au compost pendant que les fruits sont mis en macération entre douze et quatorze mois dans l’eau‑de‑vie maison pour donner naissance à une liqueur.
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À quelques mètres des fûts, l’alambic de marque Stupfler® et sa chaudière de 1964, le tout retapé au fil des années. Il en a vu passer des vapeurs d’alcool et il en verra encore tant qu’il sera en état de sortir des eaux‑de‑vie de pommes issues des 13 variétés du domaine, de poire williams, de mauzac rose, de reine-claude dorée, de petit épeautre et de prunelart qui, toutes, affichent 45 % vol. Au grenier d’un autre bâtiment, des dames-jeannes remplies d’eau-de-vie subissent aussi les écarts de température entre la chaleur sous le toit de tôle et les nuits fraîches : « Ce sont les écarts qui font le vieillissement et aussi l’oxydation. C’est pour cette raison que dans une dame-jeanne de 20 litres, je n’en verse que 18 », précise le distillateur. L’oeil est alors attiré par une inscription : « la perpétuelle de poires ». Le principe, assembler 10 % du dernier millésime avec 90 % d’anciens millésimes, un peu comme une solera, et patienter, alors qu’une eau-de-vie de poire millésimée, c’est 10 % d’anciens millésimes avec 90 % de l’actuel. À côté, d’autres inscriptions interrogent avec des noms de vignerons qui ne nous sont pas inconnus, – Gramenon, Bain, Jousset, L’Anglore – et Laurent de raconter : « Je travaille aussi à façon. Des vignerons qui me sont proches me confient leur marc de raisin et je distille pour eux entre octobre et mars en même temps que mes propres distillations. »