Le certiphyto met Fillastre en Pétard !

- Catégories : Vignerons

« Ce n’est pas de moi qu’il s’agit, il ne faut pas parler de moi mais de ce système abject, le certiphyto* ! ».

Jean-François Fillastre ne veut pas d’une guerre, il voudrait surtout que son message porte. Je lui fais remarquer que sa voix en serait un beau étendard, parce que des grands vignerons à l’ancienne, ça ne court plus les rues dans le bordelais.

« Non, non, ma personne n’a aucune importance dans cette histoire. Je ne suis qu’un vigneron parmi d’autres qu’on empêche de travailler ».

Jean-François Fillastre sait ce qu’est le travail. A presque 80 ans, il donnerait des rêves indécents au MEDEF, à repousser sans cesse la retraite. Et pourtant, là, il craque un peu, humblement, très typiquement : 3 ans que les maladies emportent sa récolte, sur son petit 1,3 hectare de Saint-Julien, au domaine du Jaugaret. De quoi sortir discrètement des gonds du chai, parce que si le domaine peut faire des envieux, il n’a ni le lustre ni  la puissance financière de ses voisins**, ni d’ailleurs la prétention. JF Fillastre veut avant tout faire du vin comme le faisaient son père, et avant lui, les ancêtres, mais sa situation actuelle l’en en empêche.

Au domaine du Jaugaret, on compte en siècle plus qu’en années. Le temps s’écoule différemment, dans la vieille tradition bordelaise, où les vins se gardaient d’une génération à l’autre, comme un album photo d’une beauté intemporelle. Un millésime est une seconde d’existence, parfois une minute, plutôt qu’une année. Ce souffle se trouve dans les vins du Jaugaret, intemporels, immuables, d’une fraicheur juste née d’une longue série de réincarnations.

Le souffle, JF Fillastre connait : il en a rempli le verre brulant de ses jeunes années industrielles, avant que la vigne familiale ne le détourne de la verrerie. Le souffle, JF Fillastre sait le maitriser, comme lors des compétitions de jadis, sur les podiums du décathlon. Le souffle, JF Fillastre n’en manque pas pour son âge, pas plus que de verbe, qu’il manie haut et franc, comme la qualité de ses Saint-Juliens. Sauf qu’on avait promis de ne pas parler de lui, et que les Saint-Julien sont désormais des Vins de France.

« Une année, en 2007, j’envoie mon vin à l’appellation, comme d’habitude -une formalité- et on me dit qu’il ne va pas : l’analyse est bonne, mais à la dégustation, non ».

    Une histoire hélas vue et revue, que bien des vignerons de génie ont subi (le domaine Dagueneau, par exemple). Les quantités de SO2 sont minimales (« C’est un produit de nettoyage ») et les conditions de stockage ou d’acheminement échappent aux vignerons. Certains y tiennent et insistent, tandis que pour d’autres, la situation relève du ridicule ; le domaine du Jaugaret sortira alors de l’appellation Saint-Julien. Pas de quoi en faire un fromage : les amateurs savent, tant pis pour les buveurs d’étiquettes.

    Ni château ni châtelain : ici , on fait du vin, pas besoin de couronne. Ou plutôt : monsieur Fillastre travaille avec ses raisins, ses sens, ses vieilles barriques, son caractère et son vin, nobles mais pas ostentatoires.  Un vin avec une aura, dans un vignoble immense mais minuscule. Le cabernet sauvignon est roi, mais sa cour est digne : merlots, malbecs centenaires, petit verdot. « Je ne l’aime pas trop, celui-là, mais il apporte quelque chose, certaines années ». Tout est complanté, tout est vendangé simultanément, parce que cette irrégularité dans la maturité donne justement l’équilibre, en particulier sur le temps. Le vigneron donne le feu vert après l’analyse empirique immuable, universelle : on goute, on observe la peau, le pépin, la rafle, et le coeur dit « feu ».

    « C’est vrai qu’il a eu des abus ». Je faisais remarquer que le certiphyto sert tout de même à contrôler les quantités de produits, les réguler. « Mais on se trompe de cible,  il faut le dire aux grosses entreprises, pas aux artisans ! Vous engagez n’importe qui avec le papier, pour une journée, et voilà ! Droit d’épandre de tout, alors qu’à des gens comme nous, on empêche l’utilisation des produits traditionaux qu’on connait et maitrise ». Voilà 6 ans que le Jauraret n’a pas vu de bouillie bordelaise, et 3 ans que le mildou anéantit la récolte. « L’esca*** progresse aussi, c’est intenable », ajoute M.Fillastre, avant de taper à juste titre sur le green-wahsing : « On pousse la HVE****, une création fort ambigüe, puisque d’une part le bio existe, et d’autre part, il suffirait de nous laisser travailler à l’ancienne ».

     Que faire ? « Vous êtes bien gentils mais je ne veux pas marcher dans les combines : c’est le système qui est injuste et qu’il faut combattre » sera sa réponse sans appel, alors que je propose de lui trouver quelques sacs de bouillie bordelaise. L’intégrité est impressionnante, en tout cas. La force de caractère aussi. Mais après tout, qui tiendrait un domaine seul dans cette situation sans cela ?

     Autant dire qu’il faut se lever tôt pour trouver une des rares et précieuses bouteilles de Jaugaret, actuellement. Promis, on ne parlera pas de M.Fillastre, mais de son vin, de son combat contre le certiphyto appliqué à tous, sans nuances mais aussi de sa passion, de sa détermination. Mais vous qui lisez et aimez le vin, peut-être saurez-vous l’aider, même contre son gré ?


Entretien et propos recueillis par Ismael Lehmann pour La Pangée

* Le Certificat individuel de produits phytopharmaceutiques, ou Certiphyto, est un certificat d’utilisation, vente ou distribution de tous produits pesticices, fongicides ou affiliés, dans le cadre professionnel. Il est obligatoire depuis 2016.
** Gruaud-Larose, Ducru-Beaucaillou, Beychevelle, Lagrange, Glana, parmi d’autres…
*** L’esca est une maladie parasitaire du bois, dont l’augmentation préocupante génère depuis une vingtaine d’année une réflexion sur les méthodes de taille de la vigne, entre autres.
**** Le label HVE (Haute Valeur Environementale) est une étiquette visant à tacler l’avancée des certifications BIO en en récupérant certains aspects mais avec un niveau d’exigence jugé très insuffisant par les acteurs du secteur. Son impact est essentiellement psychologique.

Pour en savoir plus sur le domaine du Jaugaret, vous pouvez consulter cet article de 2010 par Eric Asimov pour le New York Times. (en anglais)

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